~Quand la Raison s'envole, la Folie danse~ [feat Clyd]

En cette période d'Automne, l'air se faisait humide alors que le ciel se chargeait de plus en plus de nuages épais au fil des jours. Pourtant, les âmes nocturnes pouvaient se considérer comme chanceuses en ce soir d'Octobre : les cieux étaient parfaitement dégagés et laissaient apercevoir les scintillantes étoiles qui éclairaient le monde humain au côté de la lune. Belle, entièrement ronde, cette dernière luisait de toute sa blancheur et étincelait dans le voile noir de la nuit. C'était l'occasion parfaite pour un certain vampire de s'octroyer le droit de déambuler dans les rues pavées de la ville, en quête d'un délicieux repas. Les hunters étaient largement présents dans cette cité moyenâgeuse en raison de la proximité de l'académie Cross, mais le noctambule s'en fichait. Aucun chasseur ne prendrait le risque de s'aventurer aussi naïvement dans les ruelles étroites alors que les créatures des ténèbres pullulaient en cette heure tardive.
Car c'était une soirée spéciale.
Celui qui se considérait comme le véritable roi des ténèbres avait revêti ses propres habits. Il occupait effectivement son véritable corps, cette enveloppe charnelle parfaitement sculptée à son image et qui trahissait l'appartenance à l'ancienne famille royale par ses traits trop évidents. Des cheveux bruns et ondulés de manière sauvage, un visage fort aux yeux dissemblables qui tranchaient une peau aussi lisse que le marbre. Ce même corps à la stature musclée et imposante qui avait été déchiré, déchiqueté, totalement réduit en morceaux infimes et éparses une décennies auparavant. Mais, alors que la mort aurait dû l'accueillir, ce monstre se mouvait à nouveau en ce monde avec toute sa superbe. Évidement, la régénération n'était pas encore parfaite. Il ne pouvait demeurer dans son enveloppe originelle qu'une poignée d'heures tous les mois, lorsqu'il ne se baignait pas dans le sang, mais pour un homme estropié de toute part, il s'en sortait merveilleusement bien.
A nouveau, il pouvait gouter au plaisir de la chasse.
Le Sénat lui servait les mets humains les plus délicieux, c'était la moindre des choses que ces chiens lui devaient, mais Rido n'aimait pas seulement se faire entretenir. Après un long sommeil de dix années, entrecoupé de périodes de conscience fort peu satisfaisantes, le légitime prince des Kuran ressentait le besoin de traquer une proie par ses moyens personnels. Ressentir un frémissement à l'approche d'une cible, éprouver cette délicieuse douleur de ses intestins se retournant dans son ventre à cause de la famine alors qu'une délicate odeur chatouillait ses narines, sentir ses muscles tendus pour sauter avec aisance et dans un timing parfait, planter ses crocs effilés dans la gorge tendre de l'innocente brebis passant par là. Tout cela dans le but de lui dérober son bien le plus précieux : son liquide vital si envoutant. Peu importe le goût, s'il ne sentait pas l'essence de Juri contre ses papilles, rien ne valait la peine d'être dégusté avec soin. Cela ne serait que trop d'honneur. Ô il avait faim, il avait soif. Et il jubilait.
Une odeur légère venait d'être portée à ses sens olfactifs, signifiant qu'un imbécile heureux empruntait les boyaux labyrinthiques qu'étaient les ruelles de la ville et un sourire malsain étiré ses lèvres charnues en conséquences.
Bientôt, ses canines seraient enfin récompensées pour leur attente.

Cela faisait maintenant plusieurs semaines que je vivais chez ce professeur étrange. J'avais appris à m'habituer à ma vie avec lui, grâce à sa gentillesse, je pense, à défaut de réussir à m'habituer à ma nouvelle condition de vampire, qui me faisait encore et toujours défaut. Par contre, est-ce que je m'habituais vraiment aux caprices sordides de cet homme sensé être un adulte ? Pas sûr...

Pourquoi je dis ça ? Peut-être parce que je me retrouve à nouveau à vagabonder dans les ruelles de mes cauchemars, dans l'unique but de devoir lui acheter des bières. Sérieusement... Pourquoi m'avoir demander ça ? Et en pleine nuit, en plus ? Cette étendue sombre qu'est le ciel, illuminée par la lune et les étoiles, pouvaient être magnifique. Mais moi, elle me faisait presque peur. Je n'étais pas rassuré dans ces ténèbres oppressantes. Repérant enfin le magasin où je devais me rendre, j'y entrais précipitamment, le cœur battant. Oui, je sais, je me trouvais ridicule, moi aussi, avec ces réactions incongrues. Quoique, peut-être pas si incongrues que ça...

Pour essayer de me calmer, je marchais entre les rayons, cherchant le bon pour espérer pouvoir rentrer au plus vite. Sauf que, une fois devant les bouteilles, la réalité surgit brutalement. Ah mais... Je suis trop jeune pour acheter ça, moi... Enfin, je crois...? Quel âge ça à, un vampire...? Peu importe, quand on me voit, c'est clair que je n'ai pas l'âge requis... Ah super, me voilà bien avancer, maintenant ! Est-ce que je dois faire demi-tour ? Ce serait la bonne solution mais si je rentre sans ces bières, je risque de passer un sale quart d'heure, moi ! Ce professeur était déjà bien assez étrange, je refuse de le voir effrayant, moi !

Une fois de plus indécis, je restais bloqué devant le rayon, ne sachant pas quelle attitude adoptée. Rentrer ? Ne pas rentrer ? M'enfuir loin, peut-être, pour ne pas faire face aux reproches de ce vampire qui m'hébergeait ? Honnêtement, si j'avais la capacité de m'enterrer dans un trou profond, je serais déjà six pieds sous terre, à l'heure qu'il est ! Non mais quelle idée de m'envoyer faire cette course, aussi... Comment je fais, maintenant ?

Rido s'était penché en avant pour observer la tête de sa future proie. Pourtant l'odeur âcre du sang de vampire vint chatouiller ses narines et ne fit que réveiller un certain dédain. Ce sang pollué ne le tentait pas et avait perdu la douceur sucré du liquide vital des humains inconscients. Quel intérêt cela avait-il de planter ses crocs dans la gorge d'un être déjà souillé ? Ce devait être un level E en transformation encore à ses débuts. L'individu en question ne semblait pas fou, juste... perdu. La couleur de ses cheveux, d'un blanc crémeux, lui sembla familière mais le sang-pur ne prit pas la peine de fouiller dans sa mémoire.
Il avait soif, et ce n'était pas le sang de ce petit déchet qui saurait le repaître.
Pourtant, le prédateur jugea que ce n'était pas encore l'heure propice pour s'adonner au plaisir de la chasse. De plus cette zone avait déjà dûe être ratissée par ces rats de noctambules dégénérés pour que l'un d'eux se promène aussi impunément sur son territoire favori. L'endroit était effectivement stratégique car la ruelle donnait sur une petite supérette ouverte jusque tard dans la nuit. Quelques humains étaient donc attirés par les achats fait à des heures impossibles, notamment pour les boissons alcoolisées, et servaient de bon repas bien juteux. Le prince des Kuran ne retint pas un petit ricanement en supposant que le résidu de vampire qui déambulait dans l'allée allait être déçu de ne trouver aucune nourriture. Pourtant, à sa grande surprise, le concerné poursuivit sa route comme s'il n'avait pas senti son regard perçant sur lui et poussa le vice jusqu'à rentrer dans l'épicerie.
C'était un comportement assez inhabituel.

A défaut de rester sans rien faire, le souverain déchu décida d'accorder à cette vermine le privilège de le distraire pour un petit temps puisque ce dernier avait l'honneur de soulever sa curiosité. Normalement, les traines-poubelles en son genre évitait de se rendre dans les lieux grands publics afin de ne pas se faire remarquer. Celui-ci allait-il donc s'adonner à sa soif dans le petit magasin et commettre un carnage sous les néons et les caméras ? Ce spectacle macabre serait très divertissant pour le machiavélique personnage.
Rido sauta donc avec aisance et se réceptionna dans la fameuse ruelle en contrebas avant de poursuivre le chemin emprunté par sa nouvelle cible. Il rejoignit alors cette dernière dans l'échoppe mais eut le loisir de le voir parcourir les rayons en toute impunité comme un humain normal. Que voulait-il donc assez fort pour résister à ses instincts au point de se comporter comme un de ces faiblards d'humains ? L'imposante personnalité, qui était vêtue de son éternel trench noir, ainsi que d'une chemise entre-ouverte et d'un pantalon noir se pencha alors au dessus des épaules du frêle garçon et se saisit d'un pack de bière avec aisance.
Autant s'amuser à tourmenter un peu ce jeune ingénu en attendant que les proies appétissantes reviennent dans la zone.

-C'est ça que tu veux?

Je me retournais après avoir sursauté, et mes yeux surprit se posèrent sur cet inconnu qui avait attrapé l'objet de mes tourments. Grand, sombre, effrayant... Ce sont les trois mots qui surgirent dans mon esprit en le voyant. En particulier le dernier, " effrayant ". Je ne savais pas pourquoi mais ce personnage semblait me rappeler quelqu'un ou quelque chose. Quelque chose enfouit au plus profond de ma mémoire défaillante, mais qui revenait me hanter toutes les nuits. Mon cœur battait la chamade dès que mes yeux croisèrent les siens et une peur monta en moi. Mais pourquoi ? Y avait-il un danger ? Est-ce que mon corps me hurlait un avertissement d'un danger que j'avais oublié ? Décidant d'ignorer cet accès de peur déroutant et selon moi, sans fondement, dans mon esprit déjà bien dérangé par bien des choses, je décidais de répondre.

" Euh, oui... Mais ce n'est pas pour moi. Le... La personne avec qui je vis m'a demandé d'aller en acheter mais je ne suis pas sûr de pouvoir, en fait. Je n'ai que 17 ans, je n'ai clairement pas l'âge requis. Et je doute pouvoir me faire passer pour plus âgé... "

J'avais failli prononcer le mot " vampire ", en mentionnant que je vivais chez quelqu'un. Mais on est pas tous des vampires dans ce monde, et comme je ne sais pas qui ou quoi est cet homme en face de moi, mieux valait me taire sur ce sujet afin d'éviter de commettre une bêtise. Bon, au pire des cas, on m'aurait juste prit pour un cinglé, j'imagine. Peut-être que je le suis déjà, d'ailleurs. Je soupirais, tant en repensant à ma nouvelle condition pleines de contraintes qu'à mon plus grand dilemme du jour. Ou plutôt, du soir.

" Je vais devoir rentrer sans, et tant pis pour les conséquences. De toute façon, je ne vois pas ce qui pourrait m'arriver de pire que ce que j'ai déjà eu. "

C'est vrai. Quand j'y pense, je n'ai plus grand chose à perdre. J'ai perdu la mémoire, mon chemin, ma vie d'avant. Et surtout, mon humanité. Enfin, en quelque sorte. Génétiquement parlant, je ne suis plus un humain. Mais mon comportement n'a pas changé, j'apparais toujours comme l'humain frêle, naïf et totalement sans défense que j'étais déjà, je crois. Si au moins, devenir un vampire avait pu me rendre plus fort. Je regarde mes mains, paumes tournées vers moi. * Mais non, je ne suis pas plus fort. Je suis toujours aussi inutile et sans défense. À quoi ça sert d'être un vampire, alors ? Pourquoi est-ce qu'on m'a transformé ? Était-ce sans raisons ? Sans doute. Peut-être que quelqu'un a juste voulu s'amuser avec moi, comme l'a fait ce vampire effrayant bien avant que je vive avec ce professeur étrange. *

Mes yeux se relèvent vers cet homme inconnu. Lui aussi est effrayant. J'ai vraiment l'impression que son attitude, et surtout son regard, me sont familiers. Mais pourquoi ? L'ai-je déjà rencontré ?

" Est-ce que... on ne se serait pas déjà rencontré ? "

C'était plus fort que moi. J'avais besoin de savoir.