On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel... est invisible pour les yeux (Pv Kaien ♥)

La ville... Ce dédale de rues et de ruelles... Parfois grouillant de vies humaines qui passent et repassent, se bousculant sans se regarder ou s'excuser, toujours pressées. Parfois sombre, sans âme qui vive, à part quelques créatures non humaines qui luttent pour leur survie. Cela fait un an que je fais partie de ces derniers. Moi, petit garçon perdu, devenu un loup par la force des choses.

Ce matin, comme tout les matins de ce mois d'octobre plutôt froid, je sors de mon carton qui m'abrite depuis tant de jours, m'étire pour dégourdir la raideur de mes pattes, dû à ma nuit de sommeil, et me met enfin en route. En route vers où ? Vers mon petit déjeuner, voyons ! Trottinant précisément entre les passants pressés, ma chevelure ébouriffée par un petit vent frais, je sais parfaitement où me diriger pour trouver quelque chose à mettre sous les crocs.

Depuis que je vis ici, j'ai appris à connaître chaque détails de cette ville. Les ruelles parfaites pour s'enfuir et celles qu'il faut éviter, menant à une impasse. Les bonnes adresses pour trouver un bon casse-croûte, chapardé la plupart du temps. Je traverse une rue, tourne à gauche pour en couper une deuxième, et en traverse encore une troisième, sans hésitation, le chemin étant parfaitement gravé en ma mémoire.

Un chemin qui me mène enfin vers une grande place où, certains les matins à la même heure, de bonnes odeurs alléchantes flottent sur toute son étendue. En effet, un marché s'y établit quelquefois, regorgeant de produits en tout genre. Moi, la seule chose qui m'intéresse, ce sont les produits locaux - alimentaires bien sûr - qui attirent mon odorat développé. Bien sûr, comme ce n'est pas la première fois que ce marché vient ici, beaucoup des commerçants me connaissent. Aussi, je fais profil bas en me faufilant entre les clients, sur le qui-vive, prêt à décamper si il le faut.

Je vois passer plusieurs stands de mets plus ou moins alléchants. Du pain, mouais... Des fruits et des légumes, pas mieux... Des desserts ? Une petite partie en moi semble vouloir se réveiller en reconnaissant une odeur de pâtisseries, de sucre et de chocolat. Je fixe le stand un moment, avec hésitation, ne comprenant pas ce qui m'arrive. Mais très vite, mon esprit de loup revient à la charge, alors qu'un délicieux fumet de poisson taquine mon nez. Je détourne les yeux de ce stand emplit de farine qui selon mon instinct, ne sont pas bons pour moi et je me déplace silencieusement vers celui d'à côté.

Dans un gros tonneau de bois remplit d'eau, plusieurs poissons frétillent, souffrant du manque d'espace avant de finir prochainement dans une assiette. Ou entre deux mâchoires aux canines acérées, dans mon cas. Je tourne la tête de tout côté, vérifie où se trouve le commerçant qui s'occupe des poissons. Une fois sûr qu'il est suffisamment loin, je me rapproche encore et me dresse sur mes deux pattes arrières, les deux de devant posés sur le bord du tonneau. Je plonge mon museau dans l'eau sans hésiter. Au moment où je réussis à attraper mon futur petit déjeuner à écailles, mon poids fait se renverser le tonneau, abandonnant son contenu frétillant à même les pavés, et me trempe de la tête à la queue.

Le cri indigné du commerçant et son regard brillant de colère, alors qu'il avance vers moi, ne présage rien de bon. Je ne prend pas le temps de réfléchir. Je me secoue pour chasser un maximum d'eau de mon pelage, faisant en même temps diversion pour perturber l'homme d'une attaque de gouttelettes, et profite de la confusion pour me sauver à toutes pattes. Mais le commerçant prend tout de même la peine de me courir après, espérant me rattraper, cette fois.

Oui, ce n'est pas la première fois que je lui vole son poisson. Franchement, il devrait plutôt en être content ! C'est vrai, quoi ! Ça prouve qu'ils sont bons, ses poissons ! Je me faufile sans soucis entre les jambes des passants surprit, alors que lui peine à se frayer un chemin. " Poussez-vous, enfin, poussez-vous ! "

Je m'en amuse tellement que je fais exprès de sautiller partout, lui donnant toutes les peines du monde à garder son attention sur moi. Il va finir par avoir un torticolis ! Sûr de ma victoire, je m'imagine déjà déguster cette merveilleuse chair de poisson. Après tout, qu'est-ce qui pourrait se mettre en travers de ma route maintenant, alors que je suis si près du but ?

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Kaien retint à grand-peine un éternuement alors que son nez était chatouillé par les épices du stand devant lequel il se tenait.

Il n'avait pas prévu de se rendre au marché ce jour-là, ce n'était que grâce à un concours de circonstances qu'il était arrivé là. La veille au soir, il s'était fait réprimander par Yuki car il délaissait un peu trop son travail de directeur depuis quelques semaines. Il avait bien entendu tenté de se défendre, mais il n'avait pas non plus voulu lui avouer ses inquiétudes par rapport aux récents événements. Aussi avait-il cédé assez vite et s'était-il attelé le soir même à rattraper le retard accumulé. Seulement, il n'avait pas vu le temps passer et n'était allé se coucher qu'une poignée d'heures avant l'aube. Et, parce qu'il n'allait pas être assez fatigué comme ça le lendemain, il avait été la victime d'une insomnie tenace. Apparemment, avoir travailler et laisser de côté ses inquiétudes les avaient faites revenir de plein fouet une fois son esprit libéré.

Kaien soupira et agita inutilement les bras en se rendant compte que son souffle avait dérangé une pile d'épice qui menaça de se mélanger à une autre. Heureusement, rien de tel n'arriva. La fatigue lui pesait sur les paupières et il avait pensé que faire un tour lui redonnerait de l'énergie. Et, quitte à y aller, il avait prévu de faire quelques courses car il manquait de viande, qui reposait désormais au fond d'un sac qu'il avait calé sous son bras.

Il allait se diriger vers un autre étal après avoir souhaité une bonne journée à la vendeuse d'épices quand il vit la foule tressaillir et s'écarter progressivement. La voix pleine de colère d'un homme parvint jusqu'à ses oreilles et, au bout d'un instant, une touffe de poil sur de courtes pattes jaillit d'entre les jambes d'un passant, portant fièrement entre ses crocs ce qui s'apparentait à un poisson. L'animal était suivi d'un autre homme, rouge de rage et probablement à cause de l'effort, qui lui hurlait dessus.

Kaien n'eut pas à réfléchir bien longtemps à ce qu'il s'était passé pour comprendre que ce qu'il supposait être un chien errant avait dérobé sa nourriture à un honnête vendeur qui n'appréciait pas spécialement ne pas être payé.

Le canidé semblait sautiller, pas du tout affecté par les invectives qui lui étaient adressées, comme s'il savourait déjà son repas. Kaien eut cependant un pincement au cœur en remarquant sa maigreur et son poil hirsute et terne. La pauvre bête ne devait pas trouver beaucoup à manger et il espérait presque qu'il n'ait pas de maître. Il ne supporterait pas qu'un humain puisse délaisser à ce point un être lui accordant la confiance la plus pure.

Le chien se dirigeait vers lui, bondissant et filant entre les gens sans mal, mais les vociférations de son poursuivant avaient dégagé à ce dernier un chemin. L'animal allait bientôt être rattrapé.

Pris d'un sentiment d'injustice, Kaien se hâta de se rapprocher de ce qu'il estimait être le chemin que prendraient le voleur et le vendeur, attendant que le premier soit passé pour bloquer le passage du second, les bras grands ouverts et un sourire rassurant sur le visage.

" Ohlà, mon bon monsieur, s'exclama-t-il alors que le vendeur s'arrêtait net pour ne pas lui rentrer dedans, le visage rouge et le souffle court. Voyez donc l'état dans lequel vous vous mettez pour un poisson ! "

Kaien posa son sac par terre et mit une main amicale mais ferme sur l'épaule de l'homme pour l'empêcher de le contourner et partir à nouveau sur les traces du canidé.

" Vous savez quoi ? Je vais vous le payer. Il fouilla dans ses poches de sa main libre, resserrant ostensiblement sa prise qu'il avait sur l'épaule de l'homme, et sortit deux pièces qu'il lui présenta. Je suppose que ça suffira pour couvrir le coût du poisson et les ennuis qui vous ont été apportés. "

Son sourire se voulait chaleureux mais Kaien ne pouvait empêcher son visage de prendre une expression plus froide. Il ne blâmait pas le pauvre homme, seulement, il sentait que s'il le laissait faire, il n'aurait aucun scrupule à blesser un animal chétif qui ne cherchait qu'à survivre dans les tressautements impatients qui l'agitaient.

Voyant que le vendeur s'apprêtait à répliquer, Kaien lui attrapa le poignet, déposa les pièces dans le creux de sa main et referma ses doigts dessus.

" Retournez donc à votre stand, vous risqueriez de rater d'autres petits chapardeurs, dit-il d'un ton qui ne souffrait aucune protestation. "

Un regard sombre et l'homme détalait en vitesse, maintenant rouge de honte et grommelant rageusement. Kaien s'autorisa alors un petit soupir de soulagement. Ils avaient déjà attiré l'attention de la plupart des passants, qui maintenant faisaient mine de ne pas s'intéresser à lui. Il n'osait pas imaginer ce que ça aurait été eurent-ils eu besoin d'en venir aux mains.

Reprenant son sac, Kaien se retourna, épiant la rue des yeux à la recherche du petit voleur, ayant au moins envie de vérifier s'il n'était pas blessé.

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Les gens continuaient à s'écarter, tant par mon passage que par celui de mon poursuivant, pourtant à bout de souffle mais qui tenait bon. Il était coriace, il fallait le reconnaître ! J'esquivais toujours les jambes, bousculant peut-être certains passants à mon passage, sans m'en soucier réellement. Oui, le vendeur se rapprochait dangereusement malgré sa faiblesse comparé à moi, mais je me sentais déjà vainqueur, et tellement sûr de moi que je n'imaginais pas pouvoir perdre !

" Ohlà, mon bon monsieur. Voyez donc l'état dans lequel vous vous mettez pour un poisson ! "

À cette phrase qui était parvenue jusqu'à mes oreilles, je me suis stoppé net dans ma course pour me retourner et observer cet homme, qui visiblement me venait en aide, interposé entre le vendeur et moi, les bras écartés. La surprise de ce moment inattendu se mêla à la méfiance naturelle que je ressentais. Après un échange froid, et quelques pièces déposées dans la main du vendeur furieux et au visage cramoisi, ce dernier retourna enfin à ses petites affaires.

Moi ? J'aurais dû me sentir soulagé, je n'en doute pas. Mais ce remue-ménage avait attiré l'attention de nombre de passants beaucoup trop curieux, qui s'agglutinaient maintenant autour de cet homme et de moi-même. Le stress m'envahissait beaucoup trop vite. Oubliant le poisson, que je lâchais, je tournais en rond, le cœur battant, affolé, à la recherche d'une issue. Un grondement menaçant montait de ma gorge et s'il le fallait, je serais prêt à sauter sur l'un des passants pour dégager moi-même un passage, par la force.

C'était la faute de cet inconnu, en fait ! Oui, il m'avait aidé. Mais en intervenant, il a fait beaucoup trop de bruit, alors que je m'acharnais à me faufiler facilement par tous les passages que je pouvais ! Mais pourquoi m'a-t-il aider ??? J'y étais presque !!! Je me tournais vers lui, grondant de plus belle, les yeux fous et brillants uniquement d'une lueur sauvage qui ne me quittait plus. Ou presque. Une petite partie humaine résiste encore de temps en temps, menaçant de ce faire définitivement avalée par ma partie loup. Je l'ai senti, cette présente en voie d'extinction, quand il est venu à mon secours.

Mais là, je lui en veux. Je me sent pris au piège, comme un lion faisant des cercles sans fins, emprisonné dans sa cage. Je me cambre, sans le quitter des yeux, toujours en grondant. C'est de sa faute ! De sa faute à lui ! Si il croyait que j'allais lui sauter au coup pour le remercier, en le couvrant de léchouilles bien baveuses, comme le font les chiens quand ils sont contents, il se trompait ! Après tout, je ne suis pas un chien, moi. Je suis un loup ! Fier et sauvage, indépendant. Je n'avais pas besoin de lui ! Mais pourquoi m'a-t-il aidé ??? Il aurait dû se mêler de ses affaires !!!

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Kaien retrouva vite l'animal, à la fois soulagé et inquiet qu'il n'ait pas saisi sa chance pour s'enfuir dès que son poursuivant s'était arrêté. Était-il blessé ? Y avait-il un problème qui l'avait empêcher de prendre la fuite ? De là où il était, le directeur ne pouvait pas distinguer sur le chien frêle une quelconque blessure ou les signes de troubles internes. Il lui faudrait se rapprocher s'il voulait en apprendre plus, voire même l'emmener chez un spécialiste, car il ne prétendait pas avoir la science infuse au sujet des animaux.

Cependant, la petite bête semblait avoir d'autres plans en tête. Elle avait l'air de seulement remarquer qu'elle avait raté sa chance, ayant lâché le poisson et fait quelques tours sur elle-même avec des mouvements que Kaien ne pouvait que qualifier d'affolés. Il doit se sentir pris au piège. Kaien eut une petite grimace de sympathie, sachant très bien que c'était de sa faute si la foule les avait encerclés. S'il attendait quelques minutes, la rue s'éclaircirait, mais il ne savait pas s'il pouvait attendre jusque là ; le canidé s'était retourné vers lui en grondant agressivement, l'air prêt à en découdre. Si Cross ne trouvait pas de solution rapidement pour apaiser l'animal apeuré, ce dernier pourrait très bien s'en prendre à lui ou à un malheureux innocent pour essayer de s'ouvrir une voie de fuite.

Lentement, sans faire de mouvements brusques, Kaien s'accroupit. Se mettre à la hauteur de l'animal le rassurerait peut être car il paraîtrait moins imposant et moins menaçant. Il fallait aussi qu'il capte son attention pour qu'il oublie les autres passants autour d'eux et n'ait pas l'idée de leur sauter dessus.

Gardant les bras le long du corps pour ne pas brusquer l'animal, Kaien inclina légèrement la tête sur le côté, évitant par la même occasion de croiser le regard du chien qui pourrait prendre ça pour un défi.

" Doucement, p'tit bonhomme, murmura-t-il de sa voix la plus douce et la plus apaisante. Je suis pas là pour te faire du mal, ok ? Regarde, je suis pas menaçant, je suis pas armé et je ne te crie pas dessus. "

Il parlait plus pour se rassurer et calmer ses propres battements de cœur qu'en espérant que la brave bête ne le comprenne. Il espérait toutefois que sa voie ferait le travail. S'il n'était pas mort de peur, il appréhendait quand même une attaque. Même petits, de tels animaux pouvaient faire bien des dégâts et il n'avait aucune envie de devoir le repousser, ayant trop peur de lui faire mal.

Ne sachant plus trop quoi faire d'autre, Kaien tendit doucement la main vers son sac, observant du coin de l’œil la réaction du canidé. Peut être qu'une offrande permettrait une armistice.

" Je fais rien de mal, je vais juste te donner un petit quelque chose pour te prouver que je suis gentil et que tu n'as pas besoin de me sauter dessus, souffla-t-il en sortant délicatement du sac un morceau de viande qui tenait dans sa paume de main. Voilà, regarde. C'est pour toi. Tu en veux ? "

Avec toutes les précautions du monde, il plaça le morceau de volaille par terre, entre le chien et lui, et recula le plus lentement possible de trois pas, lui laissant de l'espace pour qu'il puisse se sentir assez en sécurité pour accepter l'offrande. C'est peut être pas la meilleure chose à donner à un chien mais tant pis, ça ira pour l'instant.

" Mange, c'est bon et t'en a besoin. "

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J'ai cessé de grogner mais je garde ma position d'attaque. Mes yeux se posent sur le morceau de volaille déposé juste devant mon museau. Son odeur est alléchante. En tant que loup, j'aurais déjà planté mes crocs dans ce morceau délicieux et me serais enfuit avec, à toutes pattes. Mais quelque chose de léger se produisit. L'attitude douce de cet homme fit briller une lueur humaine dans mes yeux. Cette partie de moi enfouit si profondément dans mon instinct sauvage, sembla se réveiller pendant quelques instants. Indécis, mon regard passa du poisson que j'ai chipé au morceau de viande si gentiment offert. J'étais vraiment prêt à saisir le morceau de viande, j'en étais à deux doigts. Mais en vérité, ce ne serait pas juste. L'humain en moi, pendant le court instant où il était présent, me hurlait que ce ne serait pas juste, j'avais déjà un bon poisson à portée de crocs !

Me reculant alors, stoppant ma posture d'attaque, mes crocs se refermèrent sur la peau écailleuse. Je m'apprêtais à repartir quand une pulsion me fit me retourner une dernière fois. Dans mes yeux, brillait le reflet de mon âme humaine. Je le regardais de mon regard soudainement brillant d'intelligence humaine, et peut-être aussi d'un mélange d'envie, de tristesse. Mais soudainement, mon instinct sauvage reprit rapidement le dessus et mes pattes obéirent d'elles-même à ce revirement, me faisant déguerpir aussi vite qu'elle le pouvait, me faufilant encore entre les passants, déterminé à ne pas lâcher ma proie écailleuse, cette fois. Tout en espérant que cet inconnu n'allait pas me coller. Hors de question que je me le coltine encore, tout était de sa faute !

Une ruelle après l'autre, voyant défiler devant mes yeux des passants outrés de mon passage éclair. Mais en vérité, je ne les voyais pas. Dans mon esprit se superposait inlassablement la douceur qui émanait de cet homme, son geste m'offrant ce morceau de viande qui m'avait tant fait envie. Et mon refus d'accepter l'offrande parce que j'estimais avoir suffisamment de quoi manger, et que ce morceau, était le sien. Sa nourriture à lui. Mais pourquoi j'avais réagi de la sorte ? J'aurais dû prendre les deux ! Profiter de cette belle aubaine d'avoir un double petit déjeuner ! Qu'est-ce qui m'a pris de réagir comme si... Comme si j'étais un... humain...

Je ne m'arrêtais, hors d'haleine, qu'une fois mon abri de carton atteint. Je m'allongeais dedans, et commençais enfin à déguster mon petit déjeuner. M'efforçant d'oublier cet humain qui m'avait causé tant de torts, selon mon moi loup. Mais qu'en était-il de mon moi humain ? Pourquoi avais-je l'impression d'une sensation de souffrance combattait avec mon envie de liberté ? En fait, plus je ressentais cette émotion étrange et indésirable, plus je souhaitais ne jamais le revoir. Il était un danger, je me sentais confus à cause de lui, et il avait aussi perturbé mes plans ! Jamais !

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L'animal semblait hésiter, ne semblant pas vouloir se détendre mais son regard bondissant entre les deux morceaux de nourriture. Ce qui paraissait étrange à Kaien qui ne se souvenait pas avoir vu une bête aussi indécise devant tant de nourriture. Il ne savait pas si c'était de la méfiance envers son offrande et ses intentions, auquel cas ce serait d'autant plus bizarre car il supposait qu'un animal affamé se jette sur l'occasion pour se remplir le ventre quelles que soient les circonstances, ou s'il ne savait pas comment transporter toutes ses trouvailles à un endroit plus isolé.

Kaien voulu faire un pas en arrière pour lui montrer qu'il ne lui ferait aucun mal s'il venait à s'approcher du morceau de volaille, mais le chien le devança. Il recula jusqu'à ce qu'il puisse saisir à nouveau le butin qu'il avait si durement gagné entre ses crocs et se retourna comme pour partir ventre à terre, sans un dernier regard pour la volaille qui gisait par terre. Mais, à la surprise du Cross qui s'apprêtait à lâcher un soupir déçu, il sembla se stopper en plein élan et tourna à nouveau la tête vers lui, comme pour le dévisager.

Ce que Kaien aperçut dans ces yeux qu'il avait cru ternes le fit sursauter de stupeur. Il manqua de s'étouffer en avalant de travers. L'animal profita de cette distraction pour s'enfuir à toutes pattes, son trophée dans la gueule.

" Attend ! Cria-t-il entre deux quintes de toux. "

Il se remit sur pieds en essayant de calmer sa toux, ramassant au passage le morceau de viande et son sac de courses. Ignorant les visages perplexes des passants, il se mit à son tour en chasse de l'animal.

Ces yeux si bestiaux, empli du seul instinct animal de survie quand il les avait contemplé pour la première fois... ils s'étaient remplis sous son regard d'étincelles, de poudre d'or, et avaient brillé d'intelligence, d'émotions... Un tel regard sur le visage d'une bête... Ça aurait pu être déroutant et beaucoup auraient passé leur chemin en se persuadant que ce n'était rien, qu'ils avaient simplement projeté une image humaine sur un animal. Mais pas Kaien. Non, lui avait déjà vu ce genre de regard. Et s'il ne se trompait pas, il lui fallait absolument retrouver le canidé car il était bien plus en danger qu'il ne devait penser.

Rue après rue, Kaien s'essoufflait, ne gardant la trace de l'animal que par un pur miracle car il n'en voyait à chaque fois que le bout de la queue disparaître à un coin de rue. Il fallait dire qu'il savait se faufiler entre les gens plus rapidement que lui. Son agilité et sa rapidité étaient cependant étonnantes pour un être aussi mal en point.

Après être entré dans une dernière ruelle, Kaien s'arrêta, à bout de souffle, et s'autorisa un moment de pause pour ménager ses pauvres poumons. Il était vraiment temps qu'il reprenne l'exercice s'il voulait être apte à défendre l'académie contre d'éventuels agresseurs. S'il n'avait pas eu à intervenir physiquement avec la Hio, il ne pouvait pas compter que sur ses chargés de discipline pour faire tout le travail à sa place. Certes, il s'était enfin entouré d'un peu plus de personnes compétentes dans ce domaine là, mais il se considérait tout de même comme l'un des gardiens principaux de la paix qui régnait dans l'établissement. Il lui fallait donc être au meilleur de sa forme à tout instant.

Mais là n'était pas la question pour le moment. Grognant en sentant son dos craquer lorsqu'il se redressa, Kaien jeta un regard à la ruelle dans laquelle il était. Il n'y avait pas grand chose de notable. En s'avançant, il remarqua cependant un carton dans un renfoncement, à l'abri du passage et des regards. Une cachette parfaite.

Il s'approcha doucement, prenant soin de faire juste assez de bruit pour alerter un potentiel occupant de sa présence, et s'accroupit à nouveau à distance respectable de l'abri de fortune.

" Hey, appela-t-il, pas sûr encore qu'il avait vraiment réussi à retrouver l'animal. J'espère que tu es là. "

Kaien ne savait pas vraiment quoi faire. Il était tout à fait possible qu'il parle à un carton vide et ait totalement perdu la trace du canidé, auquel cas il pouvait attendre longtemps qu'on lui réponde. Ou alors un autre animal avait trouvé refuge dans ce carton et ne serait probablement pas très content d'être dérangé. Mais s'il était vraiment là, il fallait qu'il soit patient et le pousse pas à faire quelque chose dont il n'avait pas envie. Aussi se décala-t-il un peu pour laisser un échappatoire si l'animal se sentait trop en danger.

" Écoute, je sais peut-être quel est ton 'problème', mais j'ai besoin que tu me fasse confiance. "

Il avait pris sa voix la plus douce et la plus rassurante, celle qu'il utilisait pour calmer Zero même si elle lui valait parfois quelques coups quand ce dernier estimait être traité comme un enfant. Si sa théorie était juste, son interlocuteur avait vraiment besoin de douceur.

Il posa son sac à côté de lui et en sortit un nouveau morceau de viande, estimant que lui redonner le morceau plein de poussière et de terre ne serait pas la meilleures idée. Il le tendit vers le carton, ne le posant cependant pas à terre cette fois-ci.

" Tu sens ça ? Je peux le rendre encore meilleur si tu veux bien m'accompagner jusqu'à chez moi. Mais je peux aussi te le laisser là comme ça si tu préfère. "

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J'étais encore occupé à savourer mon festin du jour quand mes oreilles se dressèrent en entendant un son totalement inattendu. Une voix que je n'avais pas beaucoup entendu mais que je reconnaissais après un petit temps d'hésitation. Est-ce qu'il m'avait... suivit jusqu'ici ? Jusqu'à ma cachette ? C'était incroyable. Il est tenace, visiblement, et il devait avoir une sacrée endurance pour avoir réussi cet exploit.

Lentement, abandonnant mon poisson à moitié dévoré, je m'avançais vers l'ouverture de ma cachette en carton et y passa la tête. Je me rendis compte que je ne m'étais pas trompé sur l'identité de celui à qui appartenait cette voix qui m'avait salué de façon étrange, quand mes yeux brun-ambrés se posèrent sur lui. Je n'arrivais toujours pas y croire. Pourquoi m'avait-il suivit ? Que faisait-il là ? Pourquoi n'avait-il pas simplement continué son propre chemin avec ignorance, comme tant d'autres humains que je croisais dans ces rues ?

À mesure que sa voix douce et rassurante résonnait, je sentis mon cœur battre d'une façon tellement... étrange. Je ressentais une profonde envie et attirance inexpliquées. Et quand il me parla de la possibilité qu'il avait de préparer ce morceau de viande alléchant en quelque chose de meilleur, des souvenirs resurgirent soudainement, des souvenirs que mon inconscient humain croyait s'être débarrassé pour toujours.

* Je revois nettement ma maison, une maison simple, un peu isolée, comme à l'ancienne. Mon esprit se déplace à l'intérieur pour atterrir dans la cuisine. Elle aussi reflète le côté ancien. Un four à bois trône au centre, entouré de trois longues tables en véritable bois. Rapprochés les unes des autres, elles forment un " U " autour du four, laissant uniquement la cavité libre, celle où brûle le feu. Une chaise, en véritable bois elles aussi, se trouve à chaque table.

Et là, je me vois. Ma petite main agrippée au pantalon de ma mère, je l'observe préparer le repas du soir. Une bonne odeur chatouille mes narines. Je me rappelle de ses délicieux petits plats, qu'elle préparait toujours avec amour. J'avais vraiment l'impression d'être revenu à ce temps-là, je croyais que mon père allait soudainement surgir dans la cuisine et me prendre dans ses bras pour m'aider à m'asseoir sur ma chaise. Le plat allait être déposé sur la table une fois bien cuit au feu de bois, et... *

Soudain, mon esprit s'échappa à nouveau et revint à l'instant présent. Je sentais que quelque chose clochait. Au fur et à mesure que je me perdais dans ce souvenir à la fois chaleureux et horriblement douloureux, mon apparence changea. Je ne le remarquais pas tout de suite. Mais quand je sentis le froid des pavés sur ma peau nue, je revins totalement à moi. Mes yeux se baissèrent pour regarder deux petites mains, avec surprise. Qu'est-ce que... Qu'est-ce qui c'est passé ? L'instant d'avant, j'étais un loup, pourtant.

Et là, soudainement, me revoilà devenu un petit garçon. Assis devant le carton, les jambes repliées sous moi, les cheveux qui ont bien poussés, en bataille, le corps totalement dénudé et grelottant du froid que je ressentais beaucoup mieux que quand j'étais recouvert d'une fourrure chaude et isolante. Le corps tout sale, recouvert de quelques cicatrices, blessures de " guerre ", en quelque sorte. Témoignage de mon année entière à devoir lutter pour ma survie, contre des canidés parfois plus grand que moi. Étonné de cet apparence que je n'avais pas eu depuis maintenant un an, je remuais ces doigts que j'avais l'impression de redécouvrir. Pourquoi est-ce que je suis un humain seulement maintenant ? Mes yeux - redevenus brun - se levèrent pour se poser sur cet homme inconnu qui était toujours là. Est-ce que... c'était à cause de lui ? De sa présence incongrue ?

Indécision. Incompréhension. Peur. Je ressentais presque les mêmes émotions que ce jour-là. Mon cœur battait la chamade, j'avais vraiment peur. Je ne comprenais pas. Qu'est-ce qui c'était passé ? Pourquoi je suis soudainement tout nu, uniquement couvert de peau et grelottant de froid sur ces pavés ? Totalement effrayé et continuant de répondre à cet instinct qui m'avait tant guidé, je disparu à nouveau - à quatre pattes, comme un tout jeune enfant apprenant tout juste à se déplacer tout seul - dans mon abri sommaire qui me rassurait, me recroquevillant sur moi-même. Qu'est-ce qui m'arrivait ? Pourquoi étais-je dans cet état-là ? Que m'arrivait-il ? Je n'arrivais pas à me défaire de mon impuissance qui me submergeait à nouveau. Au secours...

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Kaien fut soulagé de voir la tête du canidé apparaître, lui confirmant qu'il ne s'était pas trompé. Un peu plus confiant maintenant qu'il savait qu'il ne parlait pas dans le vide, il se résolut à attendre une réaction. S'il avait vu juste, il avait fait sa part, en rajouter maintenant ne serait probablement pas une bonne idée. C'était à l'animal de décider s'il était digne de confiance. S'il avait faux, hé bien... En fait, Kaien n'avait pas vraiment réfléchi à ce qu'il ferait. Il ne pouvait décemment pas laisser le pauvre animal dans un tel état mais il n'était pas certain de réussir à s'en occuper correctement, surtout qu'il faudrait probablement qu'il cherche les conseils d'un professionnel à un moment ou à un autre. Et ça, c'était seulement si une relation de confiance s'installait, et le directeur avait peur de ne pas avoir le temps de la construire.

Le Cross observa l'objet de ses pensées, sans faire un mouvement. La bête avait l'air perplexe, surprise même, mais son attitude ne dégageait aucune animosité, contrairement à celle qu'elle avait eu quelques minutes plus tôt. Peut-être était-ce parce qu'il se sentait moins en danger dans son repère, avec beaucoup moins de gens autour. Elle s'était cependant figée à l'entrée du carton et Kaien n'arrivait pas à déterminer si c'était bon ou mauvais signe. Elle semblait tiraillée, comme si elle était sous l'emprise de deux forces contraires.

Intrigué -et un poil inquiet s'il se l'admettait-, Kaien allait s'avancer vers l'animal lorsque quelque chose changea, le stoppant net dans son élan. Une sorte de frisson sembla le parcourir des oreilles à la pointe de la queue et, alors même qu'il ne bougeait toujours pas, sa silhouette se brouilla.

Estomaqué et horrifié, le hunter ne put que regarder, impuissant, le museau rétrécir, les poils se faire plus épars, les oreilles se ratatiner de même que la queue, les pattes s'allonger et la tête s'arrondir. Kaien avait déjà vu ce genre de transformation, du moins, du coin de l’œil, mais rien n'aurait pu le préparer à la vision d'un tel changement bouleversant le corps d'un animal si chétif pour dévoiler celui tout aussi maladif d'un petit garçon. Il porta une main tremblante à sa bouche alors qu'il assistait à la fin de la métamorphose, l'estomac noué et un sentiment d'injustice brûlant dans sa poitrine. Pour une fois, il aurait voulu avoir tort.

Quand l'enfant fut finalement libéré de tout aspect canin, ce fut comme s'il se réveillait. En un sursaut incrédule, il amena ses mains devant son visage, les inspectant comme si c'était la première fois qu'il voyait de telles choses, avant qu'il ne relève la tête d'un mouvement brusque, son regard s'encrant dans celui de Kaien. La terreur et l'incompréhension qu'il y lu manqua le faire vomir.

Prenant une grande inspiration pour se calmer, l'adulte défit son manteau lentement, ses doigts agités de tressautements ne voulant pas coopérer. Il le laissa glisser de ses épaules avant de s'approcher doucement du garçon, faisant de son mieux pour lui sourire chaleureusement. Il espérait que ses émotions ne se lisent pas trop sur son visage, l'enfant n'avait pas besoin de ça en plus.

" Hey, souffla-t-il en s'arrêtant de sorte à lui laisser un peu d'espace. Ça me fait plaisir de te rencontrer. "

Il tendit le vêtement vers le garçon, lui laissant le choix de le prendre ou pas. Il ne fallait en aucun cas le brusquer alors qu'il venait d'établir un minuscule lien avec lui. Sa priorité resterait cependant de faire stopper les tremblements qui agitaient son corps malingre.

" Tiens, il fait froid ces temps-ci. Prend le, ça devrait être chaud à l'intérieur. "

Kaien fit de son mieux pour garder son sourire même s'il avait envie de pleurer. Qu'un enfant se retrouve dans cette situation lui fendait le cœur. Il ignora cependant la pointe de colère qu'il ressentit en pensant qu'il n'aurait jamais dû avoir à vivre une telle vie. Il ne connaissait pas son histoire, et même si l'injustice de la situation lui tordait le ventre, il devait d'abord s'assurer du bien être de l'enfant avant de se lancer dans une vendetta contre ceux ou ce qui l'avait amené à une condition aussi misérable.

" Je m'appelle Kaien. Est-ce que tu as un nom ? "

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Après encore un moment d'hésitation, je retourne lentement à l'entrée de mon carton, pour observer l'homme qui disait se prénommer Kaien. Le manteau qu'il me tend a l'air bien chaud et cette chaleur bénéfique m'appelle. Avec prudence, je sors tant bien que mal de mon abri de fortune, sans le quitter des yeux, pour m'arrêter non loin de lui. Je n'ose pas prendre le vêtement qu'il me tend, peut-être un reste de peur ? De méfiance ? Je ne sais pas comment réagir, parce que deux esprits bien différents se combattent en moi. L'un me hurle de fuir, de ne pas faire confiance, peut-être même de mordre... L'autre me hurle de me rapprocher encore de cet homme qui n'est que douceur, qu'il en a assez de vivre dans ces conditions. En fait, je veux fuir. Mais j'ai froid... J'ai tellement froid... Alors je me rapproche encore, hésitant, me déplaçant toujours de la même manière qu'un loup, pour enfin oser agripper le manteau et me blottir dedans, comme je le pouvais. Il est bien trop grand pour moi mais ce n'est pas grave, ça ! Il est si chaud... J'ai l'impression que cette simple chaleur ravive encore d'autres souvenirs mais j'ai du mal à me rappeler distinctement.

Mon nom... Oui, c'est vrai, il m'a demandé si j'avais un nom. Est-ce que je m'en souviens ? Je ferme les yeux un moment, comme si j'essayais de forcer mon esprit à se rappeler. Et c'est à ce moment qu'un autre souvenir refait surface.

* Allongé dans mon lit, blottit sous ma couette toute chaude, je suis agité à cause d'un cauchemar qui me tourmente. Mais une main chaude et douce se pose sur la mienne et, comme si elle avait le pouvoir de chasser les vilains cauchemars, je réussis à ouvrir les yeux et à regarder la personne qui se tient à mes côtés. Ma maman. Elle me sourit avec une telle douceur, la même que cet inconnu montre depuis qu'on s'est rencontrés. " Ce n'est qu'un cauchemar, mon ange, maman est là. " Je me revois me blottir dans ses bras chauds et aimants, alors qu'elle me caresse tendrement les cheveux. Et là, dans un murmure... " Maman sera toujours là, mon petit rêve, toujours... " *

" Rêve ". Ce simple mot force enfin mon esprit à se souvenir. Je lève les yeux vers cet homme, je sais que je dois parler, prononcer la réponse qu'il attend et que j'ai eu du mal à me rappeler.

" Y... Yu... Yume... "

J'ai du mal à parler. Ça fait tellement longtemps que je n'ai pas utilisé ma voix... Qu'elle paraît faible et pratiquement inaudible. Et à mon avis, réussir à prononcer un seul mot, c'était déjà un bien gros effort. Il va falloir du temps pour que des phrases complètes puissent à nouveau être utilisées.

Je réalise soudainement un détail qui me saute aux yeux. * " Maman sera toujours là, mon petit rêve, toujours... " * Mais cette phrase... Ce n'est pas vrai. Elle n'est plus là, aujourd'hui... Inconsciemment, je ne peux pas empêcher des larmes de couler. Comme lors de ce jour horrible où ma vie a basculée. Ce jour où j'ai changé à jamais. Non... Ma maman n'est plus là... Elle ne sera plus jamais là...

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Kaien n'avait pas bougé, avait laissé l'enfant se saisir du manteau et le draper sur sa forme chétive et tremblotante sans dire un mot. Son corps entier disparaissait sous l'épais tissu mais il ne semblait pas s'en préoccuper. Au moins, il était au chaud pour le moment. Mais il y avait encore d'autres problèmes à régler.

Il avait laissé au petit garçon le temps de reprendre doucement ses esprits, de comprendre la question et de se souvenir de comment répondre. Kaien avait eu peur que le petit ne soit resté trop longtemps sous forme animale pour se souvenir du langage humain et qu'il n'ait pas compris sa question, voir tout ce qu'il lui avait dit depuis le début, mais il fut soulagé en entendant le petit filet de voix quitter les lèvres de l'enfant. Même s'il dû se retenir de grimacer en entendant la vulnérabilité dans son timbre faible.

Mais avant qu'il ne puisse répondre, il vit les yeux du petit Yume s'emplir de larmes. Qu'est-ce qu'il se passe ? Qu'est-ce qu'il a ? Il a mal quelque part ? Kaien fit de son mieux pour réprimer la panique qui lui enserrait petit à petit la gorge à la vue des perles salées glissant sur les joues poussiéreuses de l'enfant. Il avait l'air de ne pas avoir repris forme humaine depuis longtemps, peut être était-il tout simplement paniqué par les pensées cohérentes qui le submergeaient maintenant que ses instincts s'étaient calmés.

Prenant une grande inspiration, Kaien fit un pas vers l'enfant, le regard empli de sympathie. Il leva une main hésitante mais la laissa en l'air, pas certain qu'un contact à ce moment précis était une bonne idée. Il ne voulait pas que Yume panique encore plus. Aussi opta-t-il pour simplement s'asseoir en tailleur et garder une posture relaxée et ouverte.

" Ça va aller, ça va aller. Yume, hein ? Kaien lui offrit un sourire chaleureux. C'est un joli prénom. "

Il ne savait pas trop comment réagir pour calmer ses pleurs, à part peut être lui donner du temps pour reprendre le contrôle lui-même. Mais il ne voulait pas laisser un silence pesant non plus. Allez Kaien, fais ce que tu sais faire de mieux !

" Tu sais, je connais quelqu'un comme toi. Quelqu'un qui a... autant de poils que toi on va dire. Une vraie brute celui-là par contre. Je ne l'ai pas vu se transformer souvent mais je peux te dire que sa forme humaine peut être vraiment effrayante. Surtout qu'il ne prend pas vraiment la peine de sourire pour adoucir son visage. Il agit vraiment comme un animal des fois, même quand il est humain. Mais c'est aussi quelqu'un d'admirable. Il est fort, courageux et on peut toujours compter sur lui. Quand il veut faire quelque chose, il ne s'arrête pas avant d'avoir réussi. Et puis, sous ses airs grognons, je sais qu'il s'inquiète énormément pour ceux à qui il tient. C'est un homme bon. Si je lui demande, il pourrait peut être t'apprendre deux ou trois choses sur ce côté... bestial de toi. "

Tout au long de son monologue, Kaien avait surveillé Yume, épié ses réactions et l'évolution de son état. Bien sûr, le hunter avait tout à fait conscience que l'enfant n'avait probablement pas compris la moitié de ce qu'il avait dit ou n'avait pas écouté. Il juste espérait qu'entendre le son d'une voix amicale suffirait à créer un sentiment de sécurité qui le sortirait de sa tête et des émotions qui l'avaient envahie en en prenant le contrôle.

" Bon alors, tu veux toujours manger quelque chose de meilleur que ce morceau de viande crue ? "

Les questions attendront, il est trop instable émotionnellement parlant pour le moment. Je ferais mieux de m'assurer qu'il va bien pour le moment, je déciderais de comment agir après plus tard.

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Je n'ai rien compris à son flot de parole. C'était beaucoup trop long et compliqué pour moi, pour le moment. Mais au moins, petit à petit, l'écoulement de mes larmes s'est calmé, laissant juste un sillage sur mes joues, preuve restante de mon émotion débordante. En revanche, la dernière question m'intéressait un peu plus. Dans mon esprit perturbé, défilaient des images de repas tous plus savoureux les uns que les autres. Des repas que j'avais mangé dans une vie... passée...

J'ai voulu lui répondre. Avec des mots. Mais comme je le pensais, un seul mot - la prononciation de mon prénom que je croyais oublié à jamais - était déjà un sacré effort. Là, maintenant, plus aucun mots ne voulaient sortir malgré ma tentative. Je ne peux que hocher lentement la tête de haut en bas pour approuver. J'ai... toujours faim. Quand j'étais en animal, je recherchais constamment de quoi me remplir le ventre, mais je ne trouvais pas toujours. Et mon moi... comme il est maintenant en à souffert. J'ai tellement faim... Et je me sens si seul, d'un coup... Pourquoi ?

Pris d'une envie subite, une envie lointaine, je tente une approche hésitante à quatre pattes - j'ai perdu l'habitude de me déplacer sur mes deux jambes, depuis le temps - tout en essayant de maintenir le trop grand manteau sur moi et je me retrouve à ses côtés, à sa droite, alors que je me rassois de la même manière qu'avant. Ma petite main se lève et agrippe son haut alors que mes yeux plongent dans les siens, comme pour... l'analyser ? Je ne sais pas pourquoi, mais... Mon moi humain a envie de le lui faire confiance, alors que mon moi loup me hurle de se méfier, qu'il ne faut pas faire confiance à un humain ! Et c'est pour ça que j'hésite, parce que deux parties de moi se disputent continuellement pour chacun de mes actes. Mais mine de rien, progressivement, mon moi humain hurle encore plus fort pour se faire entendre. Il me dit que c'est une belle occasion, que ma vie ne peut plus continuer dans cette condition. Et c'est cette voix qui a fait que je me suis rapproché de lui.

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Le flot de larmes se tarit enfin. Les petits yeux de l'enfant étaient encore rouges et brillant d'humidité mais ses sanglots semblaient s'être apaisés pour le moment. Quelle qu'ait été la raison d'une telle émotion, Kaien était soulagé qu'elle soit passée. S'il avait déjà eu maintes fois affaires aux pleurs d'un enfant, ici, il ne pouvait pas se permettre les méthodes trop tactiles qu'il utilisait d'habitude. Yume ne réagirait peut être pas positivement à une étreinte réconfortante et il ne voulait pas l'apeurer ou lui donner l'idée de fuir quelque part où Kaien ne le retrouverait pas et ne pourrait pas l'aider.

Le petit hochement de tête qu'il reçut en réponse à sa question fut bien suffisant pour lui arracher un nouveau sourire attendri, quoiqu'une pointe de tristesse lui tirailla le cœur. Il avait déjà observé un animal ne connaissant que trop bien la sensation d'un ventre vide se ruer sur toute nourriture qu'il trouvait. La pauvre chose s'était rendue malade en voulant engloutir ce qui lui était généreusement donné. Le garçon n'avait peut être même pas vraiment faim, peut être était-ce son instinct lui ordonnant de manger tant qu'il le pouvait, quitte à remplir plus que de raison son trop petit estomac. Mais cela ne l'empêcherait pas de lui donner à Yume toute la nourriture dont il aurait besoin.

Kaien l'observa silencieusement s’avancer vers lui, s'efforçant de ne pas faire un seul geste brusque et de ne pas essayer de l'aider à garder le manteau sur ses frêles épaules. Il fut agréablement surpris de voir Yume s'asseoir à ses côtés et ses petits doigts agripper son haut. Une forte émotion le prit à la gorge et il dut retenir un sanglot devant le regard seulement à moitié méfiant d'un si jeune enfant. Il semblait ne pas savoir s'il devait faire confiance à l'adulte. C'était affreux de songer à l'enfance paisible que l'on avait arraché à Yume.

Un sourire vacillant mais tendre sur les lèvres, Kaien rendit son regard au petit loup, tentant d'y faire passer ses bonnes intentions, sa volonté de le protéger et de s'occuper de lui et son affection grandissante pour lui. Il prit une inspiration discrète au bout de quelques secondes avant de tendre doucement les mains vers lui, s'arrêtant sans le toucher.

" Tu veux que je te porte ou tu préfère marcher ? Tu as l'air fatigué et je te promet que personne ne te fera de mal tant que je serais là. "

Il mima porter quelque chose dans ses bras pour accompagner ses paroles, pas certain de quels mots Yume serait capable de comprendre, exagérant de même l'intonation interrogative. Pour le moment, il lui donnait le maximum de liberté, essayant de ne jamais lui imposer quelque chose, le laissant choisir s'il voulait lui faire confiance ou non. Même s'il était l'adulte entre les deux et qu'il savait ce qui serait le plus bénéfique à Yume, ce n'était que de petites décisions et il estimait que, malgré son âge, il avait le droit d'être au contrôle de sa propre vie. Aussi attendit-il patiemment, les bras toujours écartés en invitation mais ne bougeant pas plus, observant calmement l'enfant.

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Pendant que l'heure tourne, mes yeux passent de ceux de cet adulte à ses bras tendus vers moi. Je pense avoir bien compris le message qu'il a voulu me faire passer. J'ai l'impression... de voir le fantôme de mon père, à travers lui. Ce père en question - maintenant plus de ce monde - avait le même caractère doux. La même envie de me protéger. Les mêmes bras chaleureux. La même disposition aux méthodes douces et tactiles, pour réconforter.

Je ne suis pas sûr de vouloir faire totalement confiance à cet homme que je n'ai en face de moi que depuis quelques minutes ou peut-être un peu plus. Mais je sais au moins une chose : j'ai envie de ressentir cette tendresse à nouveau. Parce que j'ai beau avoir passé un an sous les traits d'un loup, depuis que cet adulte est entré en contact avec moi, de plus en plus, des souvenirs resurgissent. Des souvenirs qui me paraissent tellement lointains, désormais.

Finalement, en réponse à son propre geste, je tends moi aussi les bras vers lui. En tant normal, je pense que j'aurais sans doute voulu faire preuve de fierté et m'acharner à marcher tout seul. J'aurais alors eu deux options : La première, marcher laborieusement à côté de lui mais... à quatre pattes, tel un bébé n'ayant pas encore maîtriser la marche sur deux jambes. La deuxième, redevenir un loup pour me déplacer ainsi, mais avec le risque de me perdre à nouveau dans les limbes de ma méfiance.

Même seulement du haut de mes 7 ans, je sais que ce n'est pas la bonne option, ni l'une, ni l'autre. Et je me sens tellement fatigué. Et si je ne tenais pas pendant le trajet à parcourir ? Et si je finissais par m'effondrer sur ces pavés froids, vidé de toutes forces ? Peut-être qu'après tout, ce ne serait pas si mal. Je pourrais retrouver mes parents, morts eux-mêmes sur ces pavés froids, il y a maintenant un an. Mais, je... Une partie de moi veut vivre. Cette même partie qui m'a fait tenir pendant toute cette année dans la rue, à survivre de vols, de batailles ardues et d'abris éphémères. Oui. Je dois vivre.

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Le jeune garçon était hésitant, incapable peut être de comprendre la gentillesse qu'on lui montrait, observant les bras réconfortant comme s'il s'attendait à ce qu'ils deviennent violents. C'était un sentiment des plus sombres que celui d'être l'origine de la méfiance d'un enfant à qui on avait volé l'innocence. Ce fut déchirant car Kaien ne demandait rien de plus que d'envelopper le petit être dans une étreinte protectrice et ne plus jamais le lâcher mais il resta immobile, les yeux brillants de larmes et les mains ouvertes dans sa direction en une invitation silencieuse.

Lorsque Yume étendit ses propres bras vers lui, Kaien dû se mordre violemment l'intérieur de la joue pour ne pas fondre en larmes. Il voyait bien que la méfiance avait finalement cédé la place à un épuisement qui n'avait rien à faire sur un visage aussi juvénile mais il ne pouvait s'empêcher de prendre ce geste comme la naissance d'une fragile confiance.

Lorsqu'il fut maître de ses émotions, Kaien baissa les bras et réduisit lentement la distance entre eux, prenant soin de garder un sourire chaleureux. L'âme meurtrie en face de lui avait plus que besoin de se savoir en sécurité et s'il parvenait à lui faire associer le sourire à quelque chose de bon, l'enfant s'en sentirait probablement bien mieux.

« Je vais te porter sur mon dos, tu pourras dormir si tu veux , l'informa-t-il quand il fut tout près de lui, le ton doux et articulant particulièrement pour rendre ses mots plus simples à comprendre. »

Il s'accroupit juste devant Yume avant de lui tourner le dos, les mains se tenant prêtes à empoigner ses jambes. Il tourna la tête pour continuer à observer le jeune garçon, lui faisant un petit signe de tête en guise d'invitation à monter sur son dos.

« Viens, Yume , l'appela-t-il. Accroche toi à mes épaules le temps que tu sois bien installé. »

Il tapota son épaule d'une main pour accentuer ses paroles. Il espérait être clair et que Yume aurait assez de force pour au moins passer ses bras autours de son cou le temps que Kaien puisse supporter son poids et l'ajuster confortablement. De même qu'il espérait que l'enfant profite du voyage pour dormir et récupérer un tant soit peu d'énergie. Il semblait en avoir désespérément besoin. Cependant, il était encore improbable qu'il lui fasse assez confiance pour cela. Au mieux, il s'évanouirait de fatigue. Kaien retint une plainte triste à cette pensée.

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